HISTOIRE : Une jeune fille, bent Ahmed Belbey, originaire de Beni Hilal, née en 1852. Elle aimait secrètement son cousin Saïd. Un amour devenu célèbre, après la mort de Hizia en 1875, à l’âge de 23 ans. Ne pouvant supporter la douleur de la mort de sa bien-aimée, Saïd erre quelque temps, avant de demander au grand poète de la région, Ben Guitoun, de l’immortaliser par un poème. Le maître du melhoun le prend en pitié, après avoir écouté son histoire d’amour.
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PAROLE
La Traduction en française :Hizia
« Amis, consolez-moi; je viens de perdre la
reine des belles. Elle repose sous terre.
Un feu ardent brûle en moi !
Ma souffrance est extrême. Mon coeur s’en
est allé, avec la svelte Hiziya.
hélas ! Plus jamais je ne jouirai de sa
compagnie. Finis les doux moments,
où, comme au printemps, les fleurs des
prairies, nous étions heureux.
Que la vie avait pour nous de douceurs !
telle une ombre, la jeune gazelle a
disparu, en dépit de moi !
Lorsqu’elle marchait, droit devant elle, ma
bien-aimée était admirée par tous.
Telle le bey du camp qui s’avance un
cimeterre à la ceinture.
Entouré de soldats et suivi de cavaliers qui
sont venus à sa rencontre, pour lui
remettre chacun un présent;
Armé d’un sabre d’Inde, il lui suffit de
faire un geste de la main, pour
partager une barre de fer, ou fendre un roc.
Il a tué un grand nombre d’hommes,
ennemis du bien. Orgueilleux et
superbe, il s’avance fièrement.
C’est assez glorifier le bey ! Dis-nous,
chanteur, dans une nouvelle chanson
les louanges de la fille d’Ahmad ben al-Bey.
Amis, consolez-moi; je viens de perdre la
reine des belles. Elle repose sous terre.
Un feu ardent brûle en moi !
Ma souffrance est extrême. Mon coeur s’en
est allé, avec la svelte Hiziya.
Lorsqu’elle laisse flotter sa chevelure, un
suave parfum s’en dégage. Ses
sourcils forment deux arcs bien
dessinés, telle la lettre noun, tracée
dans un message.
Ton oeil ravit les coeurs, telle une balle de
fusil européen, qui aux mains des
guerriers, atteint sûrement le but.
Ta joue est la rose épanouie du matin, et
le brillant oeillet; le sang qui l’arrose
lui donne l’éclat du soleil.
tes dents ont la blancheur de l’ivoire, et,
dans ta bouche étincelante, la salive
a la douceur du lait des brebis ou du
miel qu’apprécient tant les gourmets.
Admire ce cou plus blanc que le coeur du
palmier. C’est un étui de cristal,
entouré de colliers d’or.
Ta poitrine est de marbre; il s’y trouve
deux jumeaux, que mes mains ont
caressés, semblables aux belles
pommes qu’on offre aux malades.
Ton corps a la blancheur et le poli du
papier, du coton ou de la fine toile de
lin, ou encore de la neige, tombant
par une nuit obscure.
Hiziya a la taille fine; sa ceinture, penche
de côté, et ses tortis entremêlés
retombent sur son flanc repli par repli.
Contemple ses chevilles; chacune est
jalouse de la beauté de l’autre;
lorsqu’elles se querellent elles font
entendre le cliquetis de leurs
khelkhals, surmontant les brodequins
(vaste plaine au S. E. de Sétif où les nomades de Biskra venaient faire paître leurs troupeaux en été )
Quand nous campions à Bazer1, je me
rendais auprès d’elle le matin; alors
nous goûtions les joies de ce monde.
je saluais la gazelle; j’observais les
présages; heureux comme un homme
fortuné, possédant les trésors de l’univers.
La richesse n’avait pour moi aucune
valeur, comparée au tintement des
khelkhals de Hiziya, quand je
franchissais les collines pour aller la rencontrer.
Lorsqu’au milieu des prairies, elle
balançait son corps avec grâce, et
faisait résonner son khelkhal, ma
raison s’égarait; un trouble profond
envahissait mon coeur et mes sens.
Après avoir passé l’été dans le Tell, nous
redescendîmes vers le Sahara, ma belle et moi.
Les litières étaient fermées; la poudre
retentissait; mon cheval gris
m’entraînait vers Hiziya.
Ils ont conduit les palanquins des belles, et
ont campé à Azal, face à Sidi Lahcen et à Zerga.
Ils se sont dirigés vers Sidi Said vers al-
Matkaouak, puis sont arrivés le soir à M’Doukal.
Ils sont repartis de bon matin, au lever de
la brise, vers Sidi Mohammed,
ornement de cette paisible contrée.
De là, ils ont conduit les litières à
al-Makhraf. Mon cheval, tel un aigle,
m’emporte dans les airs,
en direction de Ben Seghir, avec la belle
aux bras tatoués.
Après avoir traversé l’Oued, ils sont passés
par Al Hanya. Ils ont dressé leurs
tentes à Rous at-Toual, près du désert.
L’étape suivante mène à Ben Djellal.
De là, ils se sont dirigés vers El Besbes, puis
vers El-Herimek, avec ma bien-aimée Hiziya.
A combien de réjouissances avons-nous
pris part ! Mon cheval gris,
disparaissait presque dans l’arène,
(derrière un rideau de poussière); on
aurait dit un fantôme.
Ma belle était grande comme la hampe
d’un étendard; ses dents, lorsqu’elle
souriait, formaient une rangée de
perles; elle parlait par allusions, me
faisant ainsi comprendre (ce qu’elle voulait dire).
La fille de Hmida brillait, telle l’étoile du
matin; elle éclipsait ses compagnes,
semblable à un palmier qui seul,
dans le jardin, se tient debout, grand et droit.
Le vent l’a déraciné, il l’a arraché en un
clin d’oeil. Je ne m’attendais pas à
voir tomber ce bel arbre; je pensais
qu’il était bien protégé.
mais j’ignorais que Dieu, souverainement
bon, allait la rappeler à Lui. Le
Seigneur a abattu (ce bel arbre).
je reprends mon récit. Nous avons campé
ensemble sur l’Oued Ithel; c’est là que
la reine des jouvencelles me dit
adieu. C’est cette nuit-là qu’elle passa
de vie à trépas; c’est là que la belle
aux yeux noirs quitta ce monde.
Elle se tenait serrée contre ma poitrine,
lorsqu’elle rendit l’âme. Les larmes
remplirent mes yeux, et s’écoulaient sur mes joues.
Je pensais devenir fou, et me mis à errer
dans la campagne, parcourant tous
les ravins des montagnes et des collines.
Elle a ravi mon esprit et enflammé mon
coeur la belle aux yeux noirs, issue d’une race illustre.
On l’enveloppa d’un linceul, la fille de
notable; ce spectacle a augmenté ma
fièvre, et ébranlé mon cerveau.
On la mit dans un cercueil, la belle aux
magnifiques pendants d’oreilles. Je
demeurais stupide, ne comprenant pas ce qui m’arrivait.
On l’emporta dans un palanquin, embelli
par des ornements, la belle, cause de
mes chagrins, qui était grande telle la hampe d’un étendard.
Sa litière était ornée de broderies
bigarrées, scintillantes comme les
étoiles, et colorées comme un arc-en-
ciel, au milieu des nuages, quand vient le soir.
Elle était tendue de soie et tapissée de
brocart. Et moi, comme un enfant, je
pleurais la mort de la belle Hiziya.
Que de tourments j’ai endurés pour
celle dont le profil était si pur ! Je ne
pourrai plus vivre sans elle. Elle est
morte du trépas des martyrs, la belle
aux paupières teintées d’antimoine !
On l’emporta vers un pays nommé Sidi Khaled.
Elle se trouva la nuit sous les dalles du
sépulcre, celle dont les bras étaient
ornés de tatouages; mes yeux ne
devraient plus revoir la belle aux yeux de gazelle.
Ô fossoyeur ! ménage l’antilope du désert;
ne laisse point tomber de pierres, sur
la belle Hiziya ! Je t’en adjure, par le
livre saint, ne fais point tomber de
terre sur celle qui brille comme un
miroir. S’il fallait la disputer à des
rivaux, je fondrais résolument sur
trois troupes de guerriers.
Je l’enlèverais par la force des armes aux
ennemis. Dussé-je le jurer par la tête
de la belle aux yeux noirs, je ne
compterais pas mes adversaires,
fussent-ils au nombre de cent.
Si elle devait rester au plus fort, je jure
que nul ne pourrait me la ravir;
j’attaquerais, au nom de Hiziya, une armée entière.
Si elle devait être le trophée d’un combat,
vous entendriez le récit de mes
exploits; je l’enlèverais de haute lutte, devant témoins.
S’il fallait la mériter au cours de rencontres
tumultueuses, je combattrais durant
des années, pour elle.
Je la conquerrais au prix de persévérants
efforts, car je suis un cavalier intrépide.
Mais puisque telle est la volonté de Dieu,
maître des mondes, je ne puis
détourner de moi cette calamité.
Patience ! Patience ! J’attends le moment
de te rejoindre : je pense à toi, ma
bien-aimée, à toi seule !
Amis, mon cheval me fendait le coeur,
lorsqu’il s’élançait en avant (attristé
par la perte de Hiziya).
Après la mort de ma bien-aimée, il s’en est allé, et m’a quitté.
Mon cheval était plus rapide que tous les
autres chevaux du pays; dans les
échauffourées, on le voyait en tête du peloton.
Quels prodiges n’accomplissait-il pas sur le champ de bataille !
Il se montrait au premier rang. Sa mère
descendait du fameux Rakby2. (Nom d’un étalon célèbre amené du Maroc par si Ahmed Tidjani )
Combien il excellait dans les joutes entre
les douars, à la suite de la tribu en
marche; je tournoyais avec lui
insouciant de ma destinée ! Un mois
plus tard, il m’avait quitté; trente jours après Hiziya.
Cette noble bête mourut; le voilà au fonds
d’un précipice; il ne survécut pas à
ma bien-aimée. Tous deux sont partis pour toujours.
Les rênes de mon cheval gris sont tombés de mes mains.
Ô Douleur ! Dieu, en les rappelant à lui,
m’a enlevé toute raison de vivre.
Mon âme est près de s’éteindre, après leur cruelle perte.
Je pleure cette séparation, comme pleure un amoureux.
Mon coeur se consume chaque jour
davantage; ma vie n’a plus de sens.
Pourquoi pleurez-vous mes yeux ? Nul
doute que les plaisirs du monde vous
raviront. Ne me ferez-vous point grâce ?
la belle aux cils noirs a ravivé mes
tourments; celle qui faisait la joie de
mon coeur repose sous la terre.
Je pleure la belle aux dents de perles; mes
cheveux ont blanchi; et mes yeux ne
peuvent supporter cette séparation.
Le soleil qui nous a éclairé, est monté au
Zénith, se dirigeant vers l’Occident; il
s’est éclipsé après avoir été le sommet
de la voûte céleste, au milieu du jour.
La lune qui se montre à nous, a brillé
pendant le mois du Ramadhan, puis
a disparu du ciel, après avoir fait ses adieux au monde.
Ce poème, je le dédie à la mémoire de la
reine du siècle, fille d’Ahmed, et
descendante de l’illustre tribu des Douaouda.
Telle est la volonté de Dieu, mon Maître
Tout-Puissant. Le Seigneur a manifesté
sa volonté, et a rappelé à lui Hiziya.
Mon Dieu ! Donne-moi la patience;
mon coeur meurt de son mal,
emporté par l’amour de la belle, qui a quitté ce monde.
Elle vaut deux cents chevaux de race, et
cent cavales issues de Rakby.
Elle vaut mille chameaux; elle vaut une
forêt de palmiers des Ziban.
Elle vaut tout le pays du Djérid; elle vaut
le pays des noirs, et des milliers de Haoussas.
Elle vaut les Arabes du Tell et du désert,
ainsi que tous les campements des
tribus, aussi loin que puissent
atteindre les caravanes, voyageant à
travers les cols des montagnes.
Elle vaut ceux qui mènent la vie
bédouine, et ceux qui habitent les continents.
Elle vaut ceux qui se sont installés dans
des demeures permanentes et mènent une vie de citadins.
Elle vaut les trésors, la belle aux beaux
yeux; et si cela ne suffit pas, ajoutes-y les habitants des villes.
Elle vaut les troupeaux des tribus, les
bijoux, les palmiers des oasis, le pays des Chaouias.
Elle vaut ce que renferment les océans;
elle vaut les Bédouins et citadins
vivant au delà du Djebel Amour, et jusqu’à Ghardaïa.
Elle vaut, elle vaut le Mzab, et les plaines
du Zab, hormis les saints et les marabouts.
Elle vaut les chevaux recouverts de riches
carapaçons, et l’étoile du soir; cela est
peu, trop peu, pour ma bien-aimée,
unique remède à mes maux.
Je demande pardon au Seigneur; qu’il ait
pitié de ce malheureux !
Que Mon Seigneur et Maître pardonne à
celui qui gémit à ses pieds ! Elle avait
23 ans, la belle à l’écharpe de soie.
Mon amour l’a suivie; il ne renaîtra
jamais dans mon coeur.
Consolez-moi de la perte de la reine des
gazelles. Elle habite la demeure des
ténèbres, l’éternel séjour.
Jeunes amis ! Consolez-moi de la perte du faucon.
Elle n’a laissé que le lieu où sa famille a
campé, et qui porte son nom.
Bonnes gens ! Consolez-moi de la perte de
la belle aux khelkhals d’argent pur; on
l’a recouverte d’un voile de pierre
reposant sur des fondations bien bâties.
Amis ! Consolez-moi de la perte de la
cavale de Dyab3 qui n’eut d’autre (l’un des principaux héros de la geste des banou Hilal )
maître que moi.
J’avais de mes mains, tatoué de dessins
quadrillés, la poitrine de la belle à la
fine tunique, ainsi que ses poignets.
Bleus comme le col du ramier, leurs traits
ne se heurtaient pas; ils étaient
parfaitement tracés, quoique sans
plume; seules mes mains avaient exécuté ce travail.
J’avais dessiné ce tatouage entre ses seins,
lui donnant d’heureuses proportions.
Au-dessus des bracelets qui paraient ses
poignets, j’avais écrit mon nom.
Même sur ses chevilles, j’avais figuré un palmier !
Que ma main l’avait bien dessiné ! Ah ! La vie est ainsi faite !
Saiyed, toujours épris de toi, ne te reverra
plus; le seul souvenir de ton nom, lui
fait perdre ses sens. Pardonne-moi,
Dieu compatissant; pardonne aussi à
tous les assistants; Saiyed est triste; il
pleure celle qui lui était si chère. Aie
pitié de l’amoureux, et pardonne à
Hiziya; réunis-les dans le sommeil, Seigneur !
Ô Dieu, le Très-Haut. Pardonne à
l’auteur, qui a composé ce poème; son
nom est formé de deux mim, d’un ha et d’un dal (Mohamed).
Ô Toi qui connais l’avenir ! Donne la
résignation à cet homme, qui est fou
(de douleur); je pleure comme un
exilé; mes larmes apitoieraient même mes ennemis.
Je ne mange plus; toute nourriture m’est
devenue insipide; mes paupières ne
connaissent plus le sommeil.
Cette pièce a été composée trois jours
seulement après la mort de celle qui
me fit ses adieux, et ne revint plus vers moi.
Ô vous qui m’écoutez ! Ce poème a été
achevé en 1295 de l’Hégire4. (fin de l’année 1878 ap. J. C.)Ould Seghir a composé, au mois de l’Aid
El-Kebir, cette chanson.
A Sidi Khaled ben Sinan, Ben Guittoun a
chanté celle que vous aviez vue vivante.
Mon coeur est parti avec la svelte Hiziya !»